♫ Notes firran : La mélopée du temps. ♪

Sur le chemin du retour.
Une hâte impromptue sous les frondaisons de la Futaie.

Dans l’air brumeux du crépuscule hivernal deux silhouettes montées sur des lions filent sur la route en terre battue traversant la dense et oppressante forêt d’Ombre Lune. La première devançant de loin la seconde.

Le souffle court, la fourrure luisante de sueur Arioch peine à maintenir la cadence imposé par Terock. Le torse appuyé contre son encolure la firran fredonne une douce litanie à son oreille. Elle sent les membres du félin trembler d’épuisement, sensation qui se mêle à sa propre lassitude tissant autour d’eux un lien les coupant peu à peu de leur environnement. Le monde se fond dans un amas flou de gris nimbé par la pulsation de souffrance dû à l’effort fourni afin de poursuivre le cheminement.

- Mröwee !

La voix de son frère, tel un coup de fouet, l’arrache de son cocon douloureux pour la ramener au présent. Elle regarde ce qui l’entoure prenant conscience du lieu où ils se trouvent.

** La futaie. …bientôt.. encore un petit effort **

Elle redresse son visage pâli par l’asthénie et adresse un sourire forcé à son jumeau tandis que ses longues griffes fuselées glissent tendrement dans la crinière humide du fauve pour l’encourager.

- Nous sommes presque arrivés.

Sa voix parait faible et crissante dans le murmure sauvage et bruissant de la forêt alors qu’elle ressent la brulure sèche de la soif au fond de sa gorge.

- Non on va camper ici, tu ne pourras aller plus loin aujourd’hui.

Elle baisse la tête les dreads glissant doucement sur ses traits comme un voile chatoyant aux nuances chaudes.

- Tu as raison. Tu penses qu’ils se sont réconciliés à présent ?

Le forgeron hausse les épaules.

- Qu’importe, tant qu’ils prennent une décision et ne nous entrainent plus dans des courses effrénées pour la retrouver après une dispute.
- Si tout était si simple.
- Ca l’est, Mröwee. C’est une question de choix.

Tout en parlant, l’imposant firran a mis pied à terre et mène par la bride la monture de sa sœur jusqu’à l’abri naturel créé par le touffu entrelacs des branches de la canopée. Il vient la soulever la tenant par la taille et l’installe avec douceur sur l’épais tapis moussus croissant entre les grosses racines d'un arbre.

- Reposes toi, je m’occupe d’installer le bivouac.

Elle acquiesce s’enroulant dans son épaisse cape en fourrure brune. Les yeux mi-clos elle observe les évolutions de son compagnon laissant son esprit vagabonder parmi les ombres murmurantes de la vaste sylve. Lentement elle sombre dans le sommeil. Son minois se plissant légèrement alors que dans un bref sursaut elle tente de se redresser puis dans un souffle elle laisse échapper quelques mots avant de lâcher prise et de s’endormir.

- La mélodie… elle revient.. l’entends-tu ?

Une offrande pour l'haruspice.

- Que suis-je pour vous ?
- Si l'on fait cela pourrons-nous contrôler cette chose ?
- .... sa puissance m'effraie et m'attire.

** Que suis-je ? **

Le vent cesse de susurrer. Seule reste la présence oppressante qui murmure son injonction devenant de plus en plus insistante. Elle ressert un peu plus son emprise sur la sacoche ses doigts se crispant sur le cuir. Ce qui a pour conséquence de rouvrir la profonde entaille à sa paume. Le contact de la chaleur humide sur sa fourrure la rassérène.

- Mröwee ! Je te cherchais tu étais où ?
- Sur les hauteurs près du temple. Le Mahra m'a confié une tâche.
- Encore ... moi il ne me confie rien.

Le grand firran a une moue boudeuse alors qu'il pose un regard envieux sur sa jumelle.

- Il faut que je chasse un animal imposant et que je me baigne dans son sang.
- ... Quoi ? C'est ça ta mission ?
- Oui, enfin non pas entièrement. Une partie.
- Ta main. Montre ! Pendant que je la nettoie tu m'expliqueras.

Elle l'observe pendant qu'il s'affaire à panser la plaie. Le plus délicat est le choix des mots, ceux qui vont offrir une vérité sans en dévoiler la totalité. Elle doit le protéger pour qu'il garde cette innocence dont elle s'éloigne un peu plus chaque jour.

- Je peux t'accompagner ?
- Evidemment.

Elle lui sourit et vient caresser tendrement sa joue. Sans lui, elle le sait, elle ne pourrait mener à bien cette chasse. La préparation de l'expédition est une formalité pour les deux Traque-Sang qui prennent la route en fin d'après-midi. Ils traversent rapidement les épaisses forêts de la Futaie en direction du Bassin des Tours Minots.

[…]

En silence, les deux firrans avancent dans la pénombre. Après plusieurs heures de traque ils ont finalement déniché l’animal correspondant aux critères de la petite danseuse. Ou du moins ils ont suivi les empreintes imposantes de sabots les menant directement vers un vaste bosquet. Autour d’eux la nuit bruisse des mille bruits de la vie. La lune haute éclaire la scène d’une lueur d’argent limpide. La légère brise porte les effluves musqués de l’animal jusqu’à leurs museaux sensibles. Pour le moment nulle trace de crainte ne s’y perçoit.

Soudain un brame vibrant perce la quiétude du lieu, suivi d’un craquement sonore alors que le majestueux cervidé sort de la protection des arbres. Le renne Alpin les domine de plusieurs têtes, un mâle dans la force de l’âge dont les amples ramures affutées pointent vers les chasseurs d’un air de défi.
Elle sourit sa main glissant doucement jusqu’à la dague à sa ceinture. Elle s’en saisit et de la pointe elle commence à tracer sur le sol des runes simples s’imbriquant les unes dans les autres pour former un cercle. Elle poursuit ses esquisses rapidement gravant une glyphe centrale et d’autres partants en rayons pour rejoindre les bords. Elle incise le bout de son index laissant le sang goutter sur le centre du motif. Son regard pâle rivé sur la créature, elle murmure à l’attention de son frère accroupi non loin.

- Il me rappelle les esprits de la forêt tel que Kelmavin nous les contait lorsque nous étions chatons.
- Quand nous retournerons le voir cela fera une bonne histoire à lui raconter. Il faudra peut-être enjoliver un peu.

Elle inspire lentement puis ferme les yeux commençant à chantonner une litanie sans parole. L’air l’environnant se met à onduler devenant huileux. Le symbole dessiné dans la terre meule luit maintenant d’une aura pourpre nébuleuse et sifflante. Le chant s’intensifie alors que des filaments carmins s’étirent du motif rougeoyant vers la proie qui charge le couple. Soudain la terre se met à trembler interrompant la course du caribou permettant au sortilège de faire effet; emprisonnant ses membres et les liants aux doigts de la jeune firran. Un nouveau sourire sans joie se peint sur son visage dévoilant ses petites canines qui brillent doucement dans la pénombre. Elle se redresse jouant de ses mains comme un marionnettiste. Les fils éthérés se fondent dans la fourrure du captif dont les râles apeurés déchirent l’obscurité, puis comme aspiré vers le haut ses sabots quittent l’herbe touffue. Il s’élève progressivement pour se retrouver gigotant à un mètre au dessus du sol.

Elle l’étudie un instant puis avec des gestes délicats elle ôte ses vêtements un à un les laissant glisser sur le sol en des volutes soyeuses, ne gardant que sa dague. Un peu nerveuse, elle vient se saisir de la clef à son cou pour ouvrir la serrure de la sacoche contenant l’ouvrage relié de cuir noir. Une faible lueur en émane libérant la présence sombre et froide l’habitant.

- Je peux t’accompagner, Mröwee, dans ton esprit pendant que tu pratiques le rituel ?
- M’accompagner.. oui et non, je veux que tu sois présent mais que tu restes en retrait si jamais je n’arrive pas à contrôler les flux. Tu agiras pour le mieux.

Elle s’approche, ses lèvres venant effleurer les siennes. Il la sert brièvement contre lui puis la relâche.

- D’accord. Hâtes toi à présent je n’ai pas envie de voir ton sort s’arrêter avant que tu ne l’aies occis.

L’éclat de la rune de possession crépite encore mais de moins en moins intensément tandis que la puissance du sort se consume. Arrivée juste en dessous de la bête impuissante elle relève son visage fin vers le torse palpitant et à l’aide de sa lame elle se coupe à nouveau la paume. Alors que le sang coule vivement elle empoigne le grimoire qu’elle lève comme une offrande vers la lune. De ses lèvres s’échappe une longue mélopée sans paroles et aux sonorités gutturales. L’espace autour de l’étrange duo bourdonne donnant l’impression de se déchirer afin de permettre le passage d’une lance éthérée à l’aura ocre, mélange de feu et de sang, qui transperce la pauvre bête de part en part. De la plaie béante le fluide vitale s’écoule en cascade bouillonnante sur la silhouette gracile de la magicienne.

Citation :: Le monde réel perd de sa couleur pour un gris terne sans saveur, ni nuance. Des ombres virevoltent et murmurent. Des rires, des pleurs, des complaintes lancinantes se mêlent dans une mélopée aberrante. L’une d’elle s’avance. Elle vient vers la firran souillée par le liquide amarante. Ses lèvres exsangues affleurent sur la fourrure luisante, savourant le breuvage écarlate. Elle reprend force et consistance à chaque lampée.
La voix de la vieille haruspice résonne : « le prix est payé une vie pour un lien.. mais vous n’avez réglé que le tarif de mon aide et non celui demandé par l’hôte entravé.
Une violente douleur vrille dans l’esprit des jumeaux les faisant sombrer dans l’inconscience tandis que l'apparition laisse fuser un rire dément.

Du bruit et de la fureur.

Le plus complexe fut de créer le cristal adéquat, une gemme dormante. Leur expédition au temple d’Aier lui avait procuré la matrice. Dès que son regard se posa sur la plante l’idée germa dans son esprit. Il ne lui restait plus qu’à tester, moduler, expérimenter. Elle y passa de longues heures cachée aux yeux de tous, même de son frère. Les mois écoulés à la Futaie lui permirent d’élaborer la genèse du processus.

Les lugubres forêts d’Ombre Lune lui servirent de terrain d’expérimentation. C’est dans le tronc creux du vieil arbre difforme où vécut Eonadora qu’elle établit son laboratoire. Depuis la disparition de cette dernière rien n’avait changé sauf peut-être un peu plus de toiles d’araignées et la présence de chauve-souris. Cela ne dérangeait en rien la petite danseuse. Après tout, le principal lui restait ; le creuset, l’établi d’alchimie, les différentes fioles et pots contenant herbes, poisons, et autres décoctions dont l’ancêtre se servaient pour préparer ses mixtures. Les flammes des bougies approfondissaient les ombres plus qu’elles ne les éclairaient dans ce petit local. Leurs lueurs dansantes dessinaient dans le brouillard verdâtre du lieu des formes grotesques rappelant parfois d’immondes faciès grimaçants. Malgré le feu brulant dans l’âtre l’air restait glacial et humide. C’est pourtant ici qu’elle se sentait le mieux pour mener à bien son projet.

Elle se rappelait les nombreux échecs, les vaines tentatives pour que la bouture minérale prenne et croisse. Les instants de doute alors que la Plante-Racine tentait de synthétiser le corps étranger incrusté dans ses ramures. La souffrance éprouvée quand la partie gangrénée par le rejet se détachait du végétal pour tomber racornie et desséchée sur le sol froid. Dans ces moments là, la firran venait enlacer avec une infinie douceur la petite créature organique la lovant dans son giron. Et dans ce sombre et déplaisant endroit, elle fredonnait presque tendrement de charmantes mélopées apaisantes, la berçant comme s’il s’agissait d’un chaton. Elle lui laissait quelques jours de repos avant de reprendre les expériences.
Puis quand elle commença à perdre tout espoir de réussite le miracle prit la forme d’une toute jeune pousse hybride. Son cœur translucide, aux reflets pourpres de saphir enlacé par des racines noueuses d’un vert argent foncé, brillait d’une douce pulsation. Émerveillée l’apprentie botaniste vint effleurer de bout des doigts sa création, surprise de la sentir douce et chaude sous son touché, presque vivante. Il fallut plus d’une semaine pour que le greffon n’arrive à maturation et ne se sépare de l’arbre nourricier pour s’éteindre dans la main de la magicienne. Au début elle crut avoir encore échoué mais au contact la gemme restait souple et réactive. Elle n’était qu’endormie attendant de s’éveiller.

Elle tenta de l’animer à plusieurs reprises. Mais elle allait de déconvenues en déconvenues. Peut-être cela provenait du rituel ou des sources, trop faibles. En dépit de ses nombreuses lectures d’ouvrages haranis elle ne décelait pas la faille. Jusqu’à ce voyage à Plongesable. Lorsque les brigands les attaquèrent.
Elle agit sous le coup de l’impulsion malgré la présence du Mahra et de la Grande Chasseresse espérant que trop pris par le combat aucun d’eux n’observeraient ses actes. La douleur aigüe de la lame entaillant sa paume contrasta presque instantanément avec l’agréable chaleur liquide du sang s’échappant de la blessure et gouttant peu à peu sur son œuvre en sommeil.
Ensuite tout s'enchaina rapidement : Les cris de l’humain chutant sur le pavé, son regard devenant fixe et la soudaine impulsion liant durant une brève seconde cette âme s’envolant avec la pierre afin de lui donner vie. La violence de cet éveil lui fit presque perdre conscience alors que dans une clameur audible uniquement pour elle, elle entendit le chant vriller dans sa tête en une cacophonie discordante emplie de folie.
Tellement terrible, tellement chaotique qu’elle sentit son mental sous le point de chavirer. Elle dut l’enfermer dans une boite scellée magiquement pour ne plus la percevoir. La gemme rêvait et chantait, mais elle n’offrait que le bruit et la fureur d’un esprit dérangé.

Le Filargent

La fiole de verre éclate en mille morceaux dans un claquement sec contre le tronc. Son liquide épais, jaunâtre à l’odeur pestilentielle, coule lentement en trainées sur le bois maculant les glyphes telles des larmes viciées.
Au centre de la pièce glaciale plongée dans la pénombre, une petite silhouette se dresse, la colère déforme les traits fins de son faciès alors que son regard semble flamboyer. Une voix douce et impavide rompt l’instant, résonnant comme une dissonance.

- Raté .. encore raté.. il est là. Je le sens. Il vit en moi et pourtant il m’échappe.

Elle baisse son regard sur ses paumes redressées coussinets vers le haut, ses longs doigts crispés. Des larmes de rage perlent à ses yeux. Elle reste là, tremblante, défaite face à l’échec. Tapis dans un coin la Plante-Racine n’ose bouger, son corps déformé par les boutures y croissant. Le laboratoire déjà peu accueillant d’ordinaire parait avoir été traversé par une tornade. Les livres jonchent le sol, le plan de travail est un chantier de fioles, de parchemins, de plantes, racines, petits animaux se décomposant lentement. Un parfum de mort règne dans le lieu. Nulle flamme dans l’âtre pour apporter la moindre chaleur, seule ne reste que la cendre froide.

Elle glisse lentement sur le sol, ses jambes repliées sous elle, de nouveau au centre du pentagramme. Elle plaque ses paumes sur la pierre humide, ses griffes effilées crissent dessus laissant de minces stries. Le froid l’envahit encore un peu plus accentuant son tremblement ; un mélange d’épuisement et de ressentiment qui lui noue le cœur aussi bien que l’esprit. Son animosité se tend vers celui qui la pousse dans ces extrêmes.

La question revient sens cesse : "Pourquoi vouloir autant le satisfaire ?". La réponse revient, toujours la même : " Parce qu’il est le Mahra, il est celui qui détient le pouvoir, lui et la Doyenne. Et c’est par eux qu’elle l’obtiendra du moins au sein du Clan. "
Une fois ce tour d’horizon fait, elle se calme.

** Elle l’était la précédente tisseuse, pleine de bonté, d’amour d’autrui. Je le ressens malgré toutes ces années… oui cette bienveillance vibre encore dans cet once qui vit en moi à présent. Réfléchis .. pourquoi ça ne marche pas.**

Elle se raidit soudain, son regard s’illuminant alors que l’idée prend forme.

** Cela ne marche pas parce que je ne suis pas elle.. je ne suis pas douce, pleine de compassion et de compréhension. Non, je dois mettre de moi dans le tissage et non imiter le sien, cela m’est impossible, je ne lui ressemble pas. Je suis .. . **

Tout en réfléchissant, elle s’assied en tailleur laissant les drogues prises reprendre leurs influences sur ses sens déjà altérés. La saveur amer du datura flottant dans son palais s’immisce dans le fil de ses pensées, affaiblissant peu à peu l’emprise du réel pour la faire basculer de l’autre côté du voile.

Dans le monde de la matière ses mains dansent gracieusement dans le vide, tissant un lien que nul autre qu’elle ne peut voir. L’entaille à sa paume se rouvre, le sang perlant lentement vers le sol puis s’immobilise en gouttes éparpillées. L’apesanteur les libérant de son entrave, elles oscillent un instant, petites perles pourprées puis se remontent longeant les doigts, s’enroulant autour d’eux comme des délicats écheveaux, pour finalement s’étirer vers le plafond en volutes et arabesques.

Au milieu des Ombres, elle concentre son âme sur ce qui pulse subtilement à l’orée de sa conscience ; mêlé à son Être. Elle le devine, le sent vibrer, le caresse de sa pensée, l’analyse goutant le fumet arachnéen de Sylaine qui en émane. Toute cette volonté empreinte de tendresse qu’elle commence lentement à transformer y insufflant sa propre essence. Dans cette autre réalité, entre ses doigts naissent des fils d’argents éthérés qui s'étendent, se nouent, se nimbant de pourpre pour acquérir une nouvelle nuance plus foncée mais tout aussi lumineuse.

Les arènes.
Une soirée dans les bas-fonds de Caernord.

Une petite pluie fine et insidieuse tombe depuis le début de la soirée trempant la cape de la firran, s'infiltrant peu à peu jusqu'à ôter la chaleur de son corps. Ballotée par la foule, elle suit tant bien que mal ses compagnons qui discutent avec ferveur des combats prochains. Elle ne partage pas réellement leur excitation, du moins pas sur le même intérêt. Par moment elle ressert presque convulsivement ses petites mains sur la sacoche cachée sous sa tunique, lovée contre son torse.

- Hey ! Regard'où tu vas .. firran !!

Le dernier mot est craché avec un mépris évident par l'Harani qui vient de la percuter l'envoyant rebondir contre un mur de pierre. Le temps qu'elle se redresse l'individu s'est fondu dans la foule. Elle cherche du regard son frère et Keyuri pour constater qu'ils tournent à l'angle de la ruelle, n'ayant même pas remarqué son absence.

** Zut !! j'aurai quand même préféré l'Opéra à me geler le poils dans ces bas-fonds.**

Elle allonge le pas rattrapant rapidement son retard. Rejoignant le couple elle marmonne vaguement dans leurs dos.

- Un soucis Mröwee ?
- Non tout va bien.. je vis un rêve éveillé. Le paradis du félin. Pas de doute.

Tout en parlant elle secoue sa patte arrière droite faisant voler une gerber d'eau boueuse vers ses amis.

- je vous le dis.. un RÊVE !!! Sinon on est arrivé ?
- Oui, j'te ferais dire que j'me suis pas plainte pendant le concert, moi !
- Ouais ouais ouais.

Maussade et de mauvaise foi la petite danseuse s'engouffre par la porte qu'a ouverte la guerrière. Cette dernière, une fois entrée, rejette sa cape sur l'arrière de ses épaules dévoilant l'armure de métal délicatement ouvragée que lui a offerte le forgeron du Clan. Ce qui agace encore plus la firran à la crinière rose. Elle laisse échapper un bref grognement lançant un regard noir sur son jumeau alors que d'un coup l'odeur suffocante du lieu vient lui saisir les narines lui coupant le souffle durant quelques instants.
Affichant un grand sourire goguenard Weemröy lui donne une claque dans le dos.

- Tu vas t'y habituer, c' n'est pas pire q'dormir dans la même yourte que Tonton.
- Si tu le dis ...

Puis avec douceur il vient lui prendre la main pour l'entrainer à la suite de l'humain qui leur désigne leurs places. Ce n'est qu'une fois assise débarrassée de la cape trempée qu'elle prend le temps d'étudier le lieu et les personnes s'y trouvant. Lentement elle s'habitue aux remugles imprégnant l'air, son regard s'attarde sur l'arène, elle écoute d'une oreille distraite les annonces puis alors que débute le premier combat, elle commence l'un de ses passes-temps favoris; observer les réactions de l'auditoire.
Un petit sourire affleure à ses lèvres alors qu'elle sent la tension du public monter. Elle observe leurs traits se déformer sous l'emprise de la colère, la joie, la peur, chacune des émotions qui les hantent.

** Oui finalement cette soirée peut s'avérer amusante. **

Plaine de Falcorth.
Une nouvelle aube.

Accroupie sur une avancée rocheuse, elle contemple le village dévasté en contrebas. Un genou au sol l’autre relevé, son bras gauche prenant appui dessus elle rajuste délicatement les grelots dans sa crinière épaisse. De ses lèvres s’échappe un petit fredonnement alors que du bout de la patte elle frappe le rythme sur la pierre froide.
Non loin, assis sous un arbre, son frère dégrafe les lanières retenant son armure de plaque.

- Je me demande s’ils vont s’entretuer. Ça ronge les âmes ne laissant que peur et trahison dans son sillage.

Du regard, elle suit les mouvements des rescapés s’attardant sur Ameer alors qu’il se dirige vers la tente du Mahra. Elle devine le haussement d’épaule de l’imposant firran installé derrière elle.

- Qu’importe ce qu’ils feront.

Il se redresse faisant craquer ses os puis attrape son arme exécutant quelques passes dans le vide, un sourire carnassier sur les traits.

- Tu as vu comme je l’ai achevé… D’un coup.

La fierté vibre dans la voix du mâle ainsi que dans ses yeux.

- Oui mon frère, peu à peu la légende prendra le relais sur tes actes réels et nos scaldes feront de toi l’un des héros de leurs épopées. Ta renommée transcendera les siècles.

Elle s’étire longuement puis se lève à son tour.

- Il est temps de rentrer, le chant de la bataille nous appelle en nos terres. Bientôt il sera trop tard.

En silence, elle grimpe sur le dos la lionne se détournant du hameau pour prendre la route vers Villanelle.

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